28 ans plus tôt
L’hiver avait été plus rude encore qu’à l’accoutumée cette année-là, poussant les êtres vivants dans leurs retranchements. Les voyageurs se faisaient rares, car les bêtes sauvages affamées n’hésitaient plus à s’en prendre aux humains, et ceux qui devaient absolument se risquer sur les routes du Coerthas le faisaient sous escorte armée.
Certains, cependant, n’avaient ni le rang social suffisant pour enrôler des gardes du corps, ni l’argent pour engager des mercenaires. Ceux-là ne terminaient pas toujours leur voyage de la manière escomptée.
Un cavalier solitaire bravait cependant les périls de la nature en cette fin d’après-midi brumeuse. Le temps blanc et le vent cinglant annonçaient un nouveau blizzard pour la nuit qui approchait. La haute et mince silhouette perchée sur un chocobo au plumage sombre semblait indifférente à son environnement, perdue dans une méditation bercée par le roulis des longues enjambées de sa monture.
Des hurlements déchirèrent le silence et le chocobo effrayé s’arrêta net, obligeant son maître à saisir le pommeau de sa selle pour ne pas perdre l’équilibre. Le cavalier sauta immédiatement à bas de sa monture, apaisa l’animal et tira un grimoire de sous son manteau. Quelques secondes plus tard, un carbuncle doré apparaissait à ses côtés, et le mage se mettait en marche d’un pas rapide et déterminé vers la source du vacarme.
Des hurlements de loup se mêlaient à des cris incontestablement humains et au détour du chemin un chariot de bois bâché immobilisé était cerné par une meute de loups. Le chocobo massif attelé au chariot avait été égorgé et son sang formait une mare écarlate sur la neige. Tandis que certains loups avaient déjà commencé à dévorer l’animal, d’autres s’en prenaient au cadavre d’un homme étendu à terre.
Une femme acculée contre le chariot tentait de se défendre contre les assauts de trois autres loups, assénant des coups de bâton désespérés sans cesser de hurler.
Le mage prononça un mot et le carbuncle bondit au cœur de la meute, explosant en une aura de flamme qui attira immédiatement vers lui l’hostilité des loups les plus proches. Cherchant en priorité à sauver la femme, l’arcaniste dirigea ses sortilèges vers les bêtes qui l’attaquaient. Mais la faim était plus forte que la douleur et la peur et le sang répandu affolait la meute. La magie abattit les loups, mais pas avant que l’un d’eux n’ait bondi à la gorge de la malheureuse, la déchiquetant de ses puissantes mâchoires.
Après avoir neutralisé la meute, le mage ne put que constater la mort des deux humains. Il contourna le chariot pour inspecter son contenu et se retrouva face à un enfant blotti derrière une caisse.
Valoroix n’était pas homme à être aisément surpris ou impressionné, mais le regard couleur de glace du gamin le figea sur place. L’enfant semblait en état de choc. Il n’avait pas émis un son, pas bougé. Son visage encadré de mèches blanches comme la neige restait inexpressif, mais son regard brûlait de rage.
Les sens affûtés du mage captaient la charge d’ether bien supérieure à la moyenne que concentrait le corps fluet du jeune hyur, et un instant le mage se demanda s’il n’était pas en présence d’un des démons de l’hiver dont les légendes ishgardiennes contaient les méfaits.
Le mage leva doucement les mains, abaissant sa capuche, révélant les traits fins d’un elezen adulte aux longs cheveux noirs légèrement grisonnants. Il ne sourit pas. Ce gamin-là n’attendait pas de lui un réconfort, mais une promesse.
Ils se regardèrent en silence un long moment, puis le mage fit un signe de la main.
« Tu peux descendre, il n’y a plus de danger. »
L’enfant obéit, toujours sans un mot, suivant Valoroix tandis qu’il déposait les deux corps sur le bas-côté et les recouvrait d’une toile trouvée dans le chariot. L’elezen se tourna vers l’enfant.
« Je ne peux pas les enterrer, le sol est gelé. Et on ne peut pas les laisser comme ça sinon les loups vont les dévorer. Je peux leur donner une fin digne, si tu me laisses faire. »
L’enfant hocha la tête, le visage grave.
Le mage se tourna vers les corps, soudain solennel. Le carbuncle avait disparu et l’elezen avait rangé son grimoire sous sa cape. La magie qu’il invoqua était différente, une lente mélopée aux sonorités complexes et aux résonnances profondes accompagnait ses gestes, et de ses mains tendues jaillit un feu pur et intense qui réduisit les deux corps en cendres.
L’enfant parut se détendre. Dans ses yeux la fureur avait fait place à la détermination, et les larmes coulaient à présent sur ses joues. Valoroix se retourna.
« Dis moi ton nom, maintenant. »
« Zaurak .»
Un seul mot, le premier son émis par l’enfant depuis qu’il avait vu ses parents massacrés.
« Zaurak, veux-tu venir avec moi ? »
L’enfant fixa le mage droit dans les yeux et répondit par une question : « Tu m’apprendras ? »
Valoroix s’autorisa un sourire. Inutile de demander ce que le gamin voulait apprendre. Il hocha la tête et répondit.
« Je t’apprendrai. Mais sache que ce sera long et difficile, et que l’échec se paie de la mort. Et que tu devras toujours obéir à mes ordres sans discuter.»
Une pause. Leurs regards rivés l’un à l’autre, saphir pâle contre émeraude.
« Veux-tu toujours me suivre ? »
« Oui. » La voix de l’enfant était rauque d’émotion, mais elle ne tremblait pas.
Valoroix sangla son chocobo au chariot, abandonnant la carcasse de l’autre monture aux bêtes sauvages, puis l’enfant monta sur le siège de bois à côté de lui, pour bientôt s’endormir d’épuisement, bercé par le lent mouvement de l’attelage.
Le mage leva les yeux vers les étoiles qui scintillaient entre les nuages, et sourit.
Nymeia, gardienne des Etoiles, je prends ce fil du destin que tu me tends. Puisse-t-il me servir dignement.